Papa Doc

Ce matin encore, j’ai vu passer un commentaire d’une jeune femme dans la vingtaine qui invitait à reconnaître, qu’on l’aime ou pas, que, depuis 1804, il n’y a que sous François Duvalier que l’on ait respecté Haïti. J’ai pensé laisser passer la remarque comme une bêtise de plus reprise sur les réseaux sociaux mais ces absurdités nous ont donné Trump, Le Pen et autres populistes propulsés par les « fausses nouvelles ». Aussi ai-je pensé offrir, dans l’espoir que vous m’aiderez à le partager, ce rapide florilège de la presse internationale à l’époque de Duvalier père.

Nous commencerons notre parcours après l’expiration du mandat du médecin-dictateur, le 15 mai 1963. Dans le Harvard Crimson du 3 juin de la même année, Robert F. Wagner Jr – le fils du maire de New York du même nom – parle de l’hostilité étrangère contre un dictateur barbare, allergique aux normes constitutionnelles et installé dans un degré de corruption jusque-là inédite :

[d]ans un pays où le taux d’alphabétisation est de 10%, avec un chômage très élevé et un taux de mortalité infantile de 50% (sic), où seulement 15% du budget va dans les projets alors que 85% est dépensé pour les salaires des associés du Dictateur. [À titre d’exemple, pour la question très importante de l’érosion], sur un budget de 112 000 dollars pour la conservation des sols, 110 000 étaient alloués aux salaires.

Soutenu jusque-là à hauteur de  435 millions de dollars par les États-Unis d’Amérique, François Duvalier doit désormais composer avec une suspension des relations diplomatiques par l’administration Kennedy et un fort sentiment anti-Duvalier en Amérique latine. La mort de Kennedy et la peur du communisme aidant, le dictateur réussit toutefois à se maintenir au pouvoir et faire que « Haïti [devienne] vraiment l’enfer sur la terre ». Dans un article au New Statesman, publié le 29 avril 1966, Richard West, cité par Elena de la Souchère (1967), dénonce un gouvernement qui a « pillé, torturé, assassiné sur une échelle qui dépasse tout ce que l’on avait vu auparavant en Amérique latine ».  Les chiffres repris par La Souchère dans Le Monde Diplomatique d’août 1967 (p.10) sont encore plus inquiétants que trois ans plus tôt:

La mortalité, et surtout la mortalité infantile, est, il est vrai, la plus élevée des Amériques. En l’absence de toute statistique précise, on l’évalue à 2,2 %. Un taux d’accroissement qui se situe par conséquent entre 2 et 3 % a eu pour effet de doubler en vingt ans la population de cette île surpeuplée depuis l’époque coloniale. …  [S]eul un quart de la superficie cultivable est effectivement exploité. De fait, les régions abritées des alizés souffrent d’une sécheresse dont les effets pourraient, il est vrai, être palliés par des travaux d’irrigation. Mais en ce domaine le seul ouvrage important est le barrage de Peligre, dans la vallée de l’Artibonite. Malheureusement, les eaux sont surtout utilisées par les grandes plantations. Les meilleures terres sont, en effet, accaparées par l’oligarchie des mulâtres.

Sur la BBC, le 17 juin 1969, le documentaire Papa Doc: The Black Sheep expose la terreur de l’insidieux régime à un public mondial:

La même année, Al Burt et Bernard Diederich écrivent le séminal  Papa Doc: Haiti and its Dictator qu’il faudrait peut-être, comme l’a fait un ancien président pour un autre ouvrage, imprimer et distribuer à nos jeunes.  Il était édité chez Henri Deschamps, peut-être reste-t-il quelques copies à partager avec nos jeunes Haïtiens? Maintenant que reviennent au pouvoir les admirateurs des Duvalier, cela devient une question de santé publique.

4 réflexions sur “Papa Doc

  1. Merci pour ce rappel historique. Les jeunes qui n’ont pas connu la dictature pensent, sans être éclairés par l’histoire, que revenir à ces atrocités est la seule solution. Ils ne doutent pas que nous n’avons pas à choisir entre deux maux, mais plutôt que nous devons bien placer nos têtes sur nos épaules pour construire notre pays en choisissant le régime qui convient.

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